Le chien, le chat, l'oiseau et la souris — Français

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Le chien, le chat, l'oiseau et la souris

Il était une fois une petite île perdue au milieu de l’océan, recouverte de sable blanc et habillée d’un manteau de verdure. Là-bas, un chien, un chat, une souris et un oiseau se partageait les terres en s’ignorant.

Héritiers d’une querelle de tradition, ils mettaient un point d’honneur à l’honorer. On leur avait dit, quand ils étaient enfants, avant la catastrophe, que les chiens couraient après les chats, que les chats attrapaient les oiseaux, que les oiseaux chassaient les souris, et que les souris, malheureuses, n’avaient d’autre solution que de se cacher...

Mais un jour, un tremblement, la surface de l’eau qui frémit, et puis un grondement et les vagues qui s’élèvent. Une journée,... et tout le monde avait disparu. Tous, sauf quatre survivants, les quatre aînés, chacun représentant un clan différent. Et depuis le temps, ils avaient pris l’habitude de vivre de leur côté, se débrouillant tant bien que mal pour survivre seuls ; la querelle remontait à si longtemps qu’ils ne se souvenaient même plus des causes, mais l’habitude était forte ; ils pensaient qu’il était de toute manière trop tard pour y changer quelque chose. Cependant, chacun dans son coin ressentait le même froid au creux du ventre, et puis ce léger malaise, ce tiraillement de solitude.

Un jour, pourtant, le chat prit une décision tout à fait extraordinaire. Il décida de quitter l’île. Il voulait fendre les eaux en direction du sud et voir si là-bas peut-être, il trouverait la tranquillité. Il réfléchit longtemps et finalement fit ses comptes : il lui fallait du bois, des lianes et une voile. Malgré son intelligence et ses idées, il lui manquait beaucoup pour réussir. Il n’avait pas la force nécessaire pour la coupe et le transport du bois, ni la finesse requise pour coudre une voile et lier les troncs, et malgré sa bonne volonté, sa souplesse perdue lui empêchait l’accès aux feuilles des arbres, là-haut perchées sur des troncs sans branche, hors de portée.
Le chat ne perdit pas espoir pour autant, il passa des heures entières à chercher des bouts de bois sur le sol ou perché au bout des branches à cisailler les fins rameaux de la pointe des dents. Tous l’avaient remarqué, la souris le suivait souvent à pas de loup, discrète dans les herbes hautes, pendant que l’oiseau planait en cercle dans le ciel azur.

Le chien lui tournait autour, et un jour s’approcha en disant :
« Que fais-tu ? »
« Je construis un bateau. »
Le chien éclata de rire. Un chat qui construit un bateau ?
« Si tu veux quitter l’île, apprends plutôt à nager. »

Comme le chat ne répondait rien, le chien tourna le dos et s’en alla. L’idée pourtant avait marqué son esprit, et elle tournait sans relâche dans le creux de sa tête. Lui aussi rêvait de ce mince ruban multicolore qui serpentait sur la ligne d’horizon. Il ne savait pas comment construire un bateau, mais il avait vu que cela nécessitait du bois, alors il se mit à en chercher. Il était âgé mais toujours très fort, et de la mâchoire il arrachait et traînait de lourdes branches, qu’il entassait là sur la plage.

La souris s’occupait de la même manière avec quelques brindilles, tandis que l’oiseau observait ses trois voisins avec amusement : chacun pour soi, chacun dans son coin. Ils tentèrent même tous de se jeter à l’eau avec leurs morceaux de bois qui ne tenaient pas ensemble, et tous ils essuyèrent un échec. Le chat bondissait de l’eau le poil hérissé et le chien se débattait comme il pouvait pour ne pas couler, tandis que la souris pataugeait dans l’écume. Les journées étaient éprouvantes, mais il n’y avait rien à faire, seuls ils n’y arrivaient pas ; aucun, cependant, n’osait demander de l’aide. L’oiseau avait déjà compris, car il était le seul à avoir pris du recul, mais les autres n’allaient pas tarder à comprendre, heureusement.

Le chat, allongé dans le sable, épuisé, tourna la tête à droite et aperçut la souris qui jouait avec ses cordelettes. Puis il tourna la tête à gauche et aperçut le chien qui reniflait d’un air dépité les gros bouts de bois qu’il avait trouvé dans la forêt. Et il comprit.

Il comprit que chacun d’eux avait ce que les autres n’avaient pas, et qu’ils y arriveraient seulement en unissant leurs forces. Alors il prit son courage à deux mains, ravala sa fierté et se dirigea vers le chien.

« J’ai besoin de ton aide, je suis incapable de traîner ces gros bouts de bois dont j’ai besoin jusqu’ici, et à cause de cela, je ne peux espérer construire un bateau qui puisse naviguer. »
« Je sais bien que tu en es incapable, mais qui te dit que je suis intéressé par ton offre ? Qu’est-ce que j’y gagne, moi ? »
« Hé bien, tu as aussi envie de quitter l’île, non ? Si tu m’aides, nous partagerons le bateau et nous partirons ensemble. »
« Je ne sais pas si j’en ai envie, en réalité, je voulais juste voir si j’y arrivais mieux que toi. Qu'y-a-t-il, là-bas ? Là où tu comptes aller ? »
« La paix. »
Alors le chien hocha la tête et alla chercher des bûches et des grosses branches, les entassa sur la plage devant le chat et lui demanda :
« Et maintenant ? »

Le chat ne sut pas répondre. Il savait ce qu’il fallait faire, mais il ne savait pas comment le faire. Il fallait tisser des cordes et les enrouler autour du bois, mais il ne pouvait y arriver avec ses griffes trop tranchantes. Il regarda les pattes du chien et se retint de rire. Non, lui non plus n’avait pas les qualités requises pour ce travail. Il allait abandonner quand il entendit une voix fluette qui sortait du sable :

« Je sais tisser de la corde, et je pourrais me glisser entre les branches pour les attacher ensemble. »
Le fin museau de la souris apparut, et le premier réflexe du chat fut de l’attraper pour la dévorer. Rapide comme l’éclair, le chien s’entreposa.
« Elle est notre seule chance d’atteindre la paix, il faut que tu l’acceptes et la respecte si tu veux un jour quitter l’île. »

Alors ils joignirent leurs forces et se mirent au travail. En moins d’une semaine, le bateau était prêt, il trônait comme un trophée dans le sable fin de la plage. Les trois voisins étaient enthousiastes et souriants, ils avaient fait du bon travail. Ils n'avaient jamais imaginé qu’un jour ils réuniraient leurs forces dans l’intérêt commun.

Mais le chat, silencieux depuis un instant, grogna :
« Il nous manque le plus important, l’essentiel. Il nous manque une voile. »
A ce moment précis, l’oiseau descendit de son perchoir. Il avait suivi les allers-retours de ses compagnons et il savait ce qu’ils leur manqueraient. Il n’avait rien dit, il avait fait, et il n’avait jamais ressenti cette excitation auparavant, au temps où tous les quatre s’ignoraient.
Il se posa devant le chat, un peu angoissé à l’idée que celui-ci pourrait très bien lui sauter dessus et le dévorer.

« Si tu me le permets, je peux vous aider. Je vous ai vu travailler ensemble, et j’aimerais réellement faire partie du groupe. Je n’en peux plus d’être seul. »

Et contre toute attente, le chat esquissa un sourire et répondit :
« Je n’osais pas te le demander après nos disputes passées, mais tu es le seul, en réalité, à pouvoir nous aider. Nous serons ravis de te compter parmi nous. »
Alors l’oiseau alla chercher sa part du travail. Ils s’assirent tous autour et étalèrent les feuilles sur le sable. Pendant que le chien et le chat les disposaient les unes à côté des autres, la souris et l’oiseau s’occupaient de les relier avec les cordelettes de celle-là.

Le bateau finalement prêt, ils se rassemblèrent à l’intérieur.

« Où va-t-on, maintenant ? » demanda la souris.
« On va là où la paix habite » répondit le chat.
« Mais qu’est-ce que la paix ? » demanda le chien.
L’oiseau s’avança, cérémonieux :
« C’est la bonne entente et le respect, le partage et le bien-être commun, c’est...»

Bondissant, la souris se perdait presque derrière son sourire :

« Mais alors... elle habite ici, non ? »


Morale :

Ce qui est impossible par la compétition devient possible avec la coopération. De plus, tout le monde en est plus heureux !

 

Voir l'autre conte de cette écrivaine : Le Roi malheureux.