Le Roi malheureux — Français

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Le Roi malheureux

Il était une fois, dans une contrée lointaine, un petit château aux murs gris et à l’allure poussiéreuse. Les hautes murailles privaient l’intérieur de la lumière du soleil, et depuis de longues années, les rires et la bonne humeur étaient interdits...

Le Roi vivait seul, assis sur son trône, dans l’ombre. Il passait ses journées à couvrir ses gens de cris et d’insultes, tant et si bien que beaucoup d’entre eux, pour oublier, se tuaient au travail ou étaient emportés par la maladie. Sa méchanceté était née le jour où sa jeune épouse s’était enfuie avec son amant, jeune homme de la campagne avec qui elle avait passé sa tendre enfance. Elle avait beaucoup pleuré le jour où le Roi l’avait élue sa future femme ; on raconte même que de ses larmes était née la mer d’Occident, à laquelle elles avaient donné son goût salé qui pique les yeux de quiconque s’y aventure. Elle s’en était allée triste dans sa belle robe blanche de mariée, et malgré son destin privilégié, elle avait les traits tirés et les yeux humides. Son jeune ami, cependant, avait glissé dans sa main un petit bout de tissu, juste avant que celle-ci quitte le village dans son carrosse royal.

Le jour du mariage avait été le grand évènement du pays, tout le monde souriait et chantait la gloire des jeunes mariés ; la liesse avait pourtant été de courte durée, car au crépuscule, profitant de l’obscurité, la reine s’était enfuie.

Depuis ce triste jour, une haine destructrice s’était emparé du Roi, elle avait rongé son cœur et transformé son visage : on n’y lisait alors plus que ce tourment de rage et ce voile de souffrance qui firent de lui le tyran le plus craint des alentours. Et chaque jour, les malheureux habitants du royaume souffraient que cette blessure empoisonnée ne trouve remède, car depuis tant d’années qu’elle rongeait le Roi, elle l’avait transformé en un monstre d’égoïsme et de méchanceté.

Un jour, pourtant, un vieux magicien arriva au village, avec ses habits trempés par la pluie et son dos brisé de fatigue. Il venait de loin et ne connaissait pas l’histoire du château, mais dès qu’il entra dans le fort, à la vue des visages ternes et tristes des habitants, il comprit. Il comprit tout de suite que régnait entre ces murs un grand malheur, car il sentait dans l’air ces courants d’énergie négative que créent la souffrance, la peur et la mauvaise humeur. Il alla directement au château, entra dans la demeure du Roi et fut presque renversé d’y ressentir tant de haine. On lui indiqua que le Roi se reposait, qu’il ne fallait surtout pas le déranger, mais qu’on pouvait le trouver dans sa chambre si on était assez fou pour y aller. Le vieux magicien n’avait pas peur, alors il monta les hautes marches de l’escalier central et poussa la porte de l’habitation du Roi sans même frapper.

Il trouva le Roi accoudé à la fenêtre, le regard vide et posé sur l’horizon. Ce dernier se retourna, surpris d’abord, excédé ensuite d’être dérangé.

« Que veux-tu, vieux fou ? Ne t’a-t-on pas dit que je ne voulais aucune visite ? Sors d’ici immédiatement ! » vociféra le Roi.
Mais le vieux magicien n’en fit rien, et s’assit sur un tabouret qui se trouvait près du lit.
« Je ne te gênerai pas longtemps, je viens juste t’offrir quelque chose. Assieds-toi et accorde-moi cinq minutes, que je puisse t’expliquer. »
Le Roi, comprenant bien que pour se débarrasser de cet étranger au plus vite, il fallait l’écouter, s’assit sur son lit et fit signe au magicien de continuer.
« J’ai entendu parler de ta peine en parcourant les rues, et encore plus de ta mauvaise humeur. J’ai là quelque chose qui pourrait t’intéresser, car il te rendrait ta bonté et ta joie d’antan. Accepte-le, et porte-le si tu veux, je ne t’oblige à rien. »

Le vieux magicien sortit de son baluchon une couronne d’or qui brillait de mille feux, couverte de pierres précieuses et de fines gravures qui éblouirent instantanément le Roi. Il l’accepta sans hésitation, et la plaça tout de suite sur sa tête. Après un coup d’œil dans son miroir, il remercia le vieux magicien par politesse et le pria de sortir.

A partir de ce jour, sa souffrance ne fit qu’augmenter. Il ne se séparait ni de sa couronne, ni de ses mauvaises habitudes, et à cause de sa précipitation à se débarrasser du magicien, il avait sans le savoir perdu un conseil très important, crucial même : la couronne était magique, et elle ne le rendrait bon que si ce dernier faisait des efforts de son côté pour être plus gentil. C’est pourquoi, à chaque mot méchant, chaque insulte ou chaque excès de mauvaise humeur, la couronne se resserrait autour de la tête du Roi en s’accompagnant d’une douleur légère, mais présente. Il passa comme ça sept semaines, en ne fournissant aucun effort et se réveillant chaque jour plus mal que la veille.

Au premier matin de la septième semaine, il souffrait tellement qu’il ne put quitter son lit. Il gardait pourtant sa couronne, qu’il pensait toujours bénéfique pour son image, mais ses joues étaient creusées, sa peau livide et ses yeux opaques.
Le vieux magicien, qui avait compris que le Roi faisait fausse route, décida d’envoyer sa jeune fille à son chevet, afin qu’elle lui contât des histoires pour lui faire comprendre d’où venait sa souffrance. Le Roi refusa, tout d’abord, de laisser entrer la jeune fille, mais à bout de forces, il céda. Elle s’assit tout près de lui, à même le sol, et commença son histoire.

C’était l’histoire d’un Roi, jeune et magnifique, qui s’éprenait d’une jeune fille dont le cœur appartenait déjà à un autre. Il se mourait d’amour pour elle, et décida de l’épouser, quand bien même il savait que celle-ci en aimait un autre. Pourtant, le mariage ne changea rien aux sentiments de la jeune épouse, et elle s’enfuit le soir même pour retrouver l’homme de sa vie. Le Roi eut le cœur brisé, mais il aimait bien trop la jeune fille pour se venger, et préféra ressasser sa haine et sa douleur en cachette, ne montrant à ses gens qu’un visage souriant et indifférent. Pourtant la souffrance le rongeait de l’intérieur, et très vite elle déborda : il se mit à la déverser sur les malheureuses personnes qui partageaient sa vie, faisant naître la souffrance dans le cœur de ces dernières. Il ne se rendait pas compte à quel point sa souffrance le changeait, car il était aveuglé par sa peine : il n’avait pas réussi à l’extérioriser, il n’avait pas guéri la plaie qui maintenant s’était infectée.

La jeune fille du vieux magicien n’avait pas fini son histoire, mais le Roi, captivé par son récit, était en larmes. Des rivières de larmes inondaient ses joues, et secrètement elles emportaient avec elles le poison qui avait rongé le cœur du Roi pendant tout ce temps.
Quand la dernière larme eut séché, le Roi ouvrit ses bras, prit une grande inspiration et murmura :
« Merci. »

La couronne, prise au dépourvu, relâcha un peu son étreinte, invitant cette douce sensation d’apaisement dans le corps meurtri du Roi. Il la sentit, s’en étonna tout d’abord, et soudain sauta hors de son lit. Il prit la jeune fille dans ses bras, l’embrassa sur les deux joues ; après un instant, une nouvelle vague de douceur, il en fut ravi. Il courut hors de sa chambre, ouvrit toutes les fenêtres du château qu’il avait gardé jusque là fermées, embrassa les valets et les servantes qu’il trouvait sur son chemin ; à chaque pas, il faisait une pause, attendait que la couronne le félicite, et reprenait sa course. Il sortit à l’air libre, respira l’air pur à pleins poumons, et expira avec force les dernières ombres qui noircissaient son cœur. La couronne, satisfaite et apaisée, se relâcha complètement ; elle était si ample, d’un coup, qu’elle glissa de la tête du Roi. Les gens le regardaient, abasourdis, et ne savaient que dire.

« Seigneur, qu’avez-vous ? Est-ce la folie qui de nouveau s’est emparé de vous ? » demanda, craintive, une vieille paysanne. Tous la regardèrent effrayés, le Roi allait sûrement la punir pour cet affront.
« Non, ma jolie, c’est la vie qui m’a repris, tonitrua le Roi avec allégresse, l’ombre a trop longtemps habité mon cœur, il a besoin de lumière, il veut réapprendre à aimer ! »

Morale :

La punition (la couronne) peut aider, mais n’est pas suffisante pour transformer une personne méchante, car la méchanceté prend souvent sa source dans une souffrance que nous ne voyons pas de l’extérieur. Pour transformer la méchanceté, il faut guérir cette souffrance, et cela n’est possible qu’en faisant preuve de compréhension et en atteignant le cœur de la personne.

 

Voir l'autre conte de cette écrivaine: Le chien, le chat, l'oiseau et la souris.